Wissem El-Abed, artiste plasticien tunisien, est Docteur en Arts Plastiques et Sciences de l’Art de la Sorbonne. Ses personnages, reconnaissables par leurs têtes surdimensionnées et leurs corps très minces, évoluent dans un monde parallèle à celui des hommes. Son univers, empreint de minimalisme, met l’accent sur l’expression des visages, reflet de l’âme et des émotions.

L'ART COMME DÉPLACEMENT

C’EST DANS UNE QUÊTE PERPÉTUELLE D’UNE ALTÉRITÉ QUI RESTE TOUJOURS À DÉFINIR QUE PEUT SE TRADUIRE TOUT PROCESSUS CRÉATIF.

Être dans ce monde changeant, nécessite une lecture non pour en fixer le profil, mais pour y dresser un schéma de circulation, une cartographie afin d’apaiser les appréhensions qu’il suscite. C’est une bataille contre l’identité fixe des choses. Les réalisations présentées, que ce soit à travers l’univers des grosses têtes ou à travers les assemblages ou les quelques installations, toutes les approches avancées, répondaient à cette tentative de narration d’un monde en cours, définit comme jamais définitif, qui se concrétise à travers la ligne, la forme et l’objet.

LA FIGURATION DU MONDE, TELLE EST LA TACHE DE L’ARTISTE. LA DÉLICATESSE DE CETTE MISSION SE REFLÈTE DANS L’ACTUALISATION DE CETTE FIGURATION, DANS LE PROCESSUS QUE DÉVELOPPE CETTE PRATIQUE : QUAND IL S’AGIT D’HUMOUR, IL S’AGIT AUSSI DE TRAGIQUE, QUAND IL S’AGIT D’OBJET, IL S’AGIT DE RÉEL DÉTOURNÉ, QUAND IL S’AGIT DE LIGNE, IL S’AGIT DE VECTEUR ET DE MOUVEMENT, QUAND IL S’AGIT DE TONS ET DE COULEUR, IL S’AGIT DE LUTTE POUR LA FORME, QUAND IL S’AGIT DE TEXTE, IL S’AGIT D’IMAGE ET VICE-VERSA. C’EST UNE PRATIQUE QUI TENTE LE RISQUE, QUI S’AVENTURE SUR LA SURFACE, DANS L’ESPACE ET ENTRE LES MOTS, QUI SOUFFRE SES PROPRES IMAGES, C’EST CELA SA VOCATION ET CE N’EST PAS PEU.


L’ARTISTE EST AUJOURD’HUI LIBRE, SA LIBERTÉ EST DE N’AVOIR PLUS À PRÉCISER S’IL EST PEINTRE, SCULPTEUR, VIDÉASTE OU « INSTALLATIONISTE », D’AFFIRMER QU’IL EST LIMITÉ À TELLE PRATIQUE OU TELLE TECHNIQUE. CAR CE N’EST PLUS LA TECHNIQUE QUI DÉCIDE S’IL S’AGIT D’ART OU PAS, CETTE QUESTION SE RÉSOUT, COMME L’AFFIRME DANTO, SUR UNE DIMENSION AUTRE QUE CELLE DU VISUEL. L’ARTISTE EST CONSCIENT DU RISQUE DE CETTE INDÉPENDANCE, ET IL EST PLUS QUE JAMAIS INTÉRESSENT DE L’ENTENDRE PARLER D’EXPLIQUER SON RÔLE À JOUER SUITE À CES NOUVEAUX ACQUIS DANS UNE ÈRE QUI SEMBLE CORRESPONDRE À SON INSATIABLE APPÉTIT. JE M'APPLIQUE À DEVENIR ARTISTE, À DEVENIR LIBRE, ET POUR CELA J’AFFIRME, JE N’AI PAS DE PRATIQUE, JE PRATIQUE, TOUT COURT.


LE PROCESSUS CRÉATIF EST UNE FORME DE DÉPLACEMENT. UN DÉPLACEMENT AVEC DES VALISES À PORTER, AVEC UN TRAJET À PARCOURIR, AVEC UN MOYEN DE TRANSPORT À EMPRUNTER, UN LIEU DE DÉPART ET UN LIEU D’ARRIVÉE, C’EST UN ENVOL À LA RENCONTRE DE L’AUTRE, POUR LUI PORTER MESSAGE, POUR DISCUTER, POUR LUI MONTRER CE QU’ON A DANS LES VALISES.


DANS CE VOYAGE À LA RENCONTRE DE L’AUTRE, LE DÉSIR DE DÉCOUVERTE ET LA CAPACITÉ DE RÉCEPTIVITÉ SONT LE SEUL CICÉRONE. TENTER CE DÉPLACEMENT EST DONC COMME PÉNÉTRER DANS LE LABYRINTHE, DÉPOURVU DU FIL D’ARIANE.


DONC SI LE PROCESSUS CRÉATIF EST ENVISAGÉ COMME UN PROCESSUS DE DÉPLACEMENT, C’EST PARCE QUE L’ART EST CONSIDÉRÉ COMME UNE LECTURE DU MONDE. JUSTEMENT, LE MONDE EST FAIT DE DÉPLACEMENTS, VIT À TRAVERS LE MOUVEMENT. TOUT N’EST QUE MARCHE, COURSE ET ENVAHISSEMENTS, VITESSE ET ACCÉLÉRATION.


AUJOURD’HUI, LE MONDE EST VÉCU EN ARCHIPEL. L’AUTRE, LE VRAI ET LE FAUX, S’IMMOBILISENT DANS DES CASES ENTOURÉES D’EAU. SUR CHAQUE ÎLE, DES EX-VOTOS DÉCORÉS DE LÉGENDES QUI RACONTENT L’AUTRE ET PROTÈGENT CONTRE SES DANGERS. DANS CHAQUE PORT, DES PROTOCOLES D’ENTRÉE ET DE SORTIE FIGENT LA MOBILITÉ.


DANS CET ARCHIPEL, L’ART, VEUT ÊTRE CAPABLE D’ACCOSTER À TOUS LES QUAIS, DE DÉJOUER LES RADARS ET DE PARCOURIR DE LONGUES DISTANCES, SANS FRAIS NI CONTRÔLE. IL S’EST MÊLÉ À L’EAU, À SES PLUIES ET SES CANIVEAUX. IL EST DEVENU INTRODUCTION, S’IMMISCE DANS LES PLIS ET S’INFILTRE DANS LES FAILLES, IL EMPORTE DES CHOSES ET DÉPOSE DES CHOSES, INONDE DES GOUFFRES, DONNE VIE ET PROVOQUE À L’OMBRE DES MOISISSURES. L’ART SE GREFFE SUR L’ACTUEL, S’EN SERT ET EN JOUE. REVISITE LE MONDE, LE DÉFAIT ET LE REFAIT. SE MOQUE DE SES CASES, DE SES VÉRITÉS, EN CROIT ET EN DOUTE, PUIS EN CROIT ENCORE ET EN DOUTE ENCORE, LES MOUILLE ET LES SÈCHE, LES DÉLAVE ET LES USE.


L’ART SE VEUT FIDÈLE À L’ÉPOQUE ACTUELLE, UNE ÈRE DE FLUIDITÉ DANS LE TRANSPORT ET DANS LA COMMUNICATION, POUR CELA, IL SE LIQUÉFIE. L’ART SE RETOURNE CONTRE CETTE ÉPOQUE, DEVIENT REBELLE À SE RESTRICTIONS, ET RÉVÈLE SES CONTRADICTIONS.


LE MONDE RÊVÉ VILLAGE EST DEVENU ARCHIPEL DIVISÉ DE MILLE ET UNE VÉRITÉS, UN MONDE DE PROXIMITÉ OÙ LE VRAI ET LE FAUX SE FROTTENT ET S’ÉCLATENT. L’ART « PLEUT » SUR LES BRAISES QU’ILS ALLUMENT, LES ENFLAMME DE VAPEURS QUI MONTENT EN NUAGES QUE LES HOMMES VOIENT ET Y PROJETTENT LEURS RÊVES ET LEURS ESPOIRS DE BONNE RÉCOLTE ET LEURS ANGOISSES D’ORAGE. DES IMAGES QUI CHANGENT, BOUGENT ET SE DISSIPENT EN PROMETTANT DE RETOMBER QUELQUE PART POUR REMONTER PLUS TARD.




L’ART BAPTISE CES IMAGES, IL EST UN PONT ENTRE LES ALTÉRITÉS ET TRADUCTION DES DIFFÉRENCES. POUR CELA IL DOIT RESTER DÉPLACEMENT DANS LES NOUVEAUX CIRCUITS ET VERS LES NOUVEAUX TERRITOIRES CRÉÉS, DANS UNE INCESSANTE ACTUALISATION.